"Toute douleur qui ne sert à rien est absurde" disait Malraux (citation reprise d'une maman de Petite Emilie)... Nous voulons temoigner à notre tour, dire aux parents qui vivent la même chose que nous combien ils ont le droit d'aimer leur petit bout, combien cet amour pleinement vécu, reconnu, dit, crié, accepté malgré la souffrance qu'il implique, fait du bien, appaise, aide à vivre les jours d'après...
Quand nous avons appris que nous allions sans doute devoir choisir de perdre notre Camille, nous vivions en horreur le temps qu il fallait "tenir" avec elle encore pleine de vie dans mon ventre (amniosynthese et IRM à faire...), nous vivions en horreur l'idée de lui donner un prénom et de l'inscrire sur notre livret de famille (comme si elle incarnait le malheur qui s'abattait sur notre famille : "troisième enfant: décédé"), nous vivions en horreur l'idée de la prendre dans nos bras, de faire des photos d'elle pour les regarder ensuite, les montrer plus tard à nos enfants, nos proches (c'était morbide, à quoi cela sert-il, nous n'en aurons pas la force, il faut OUBLIER), nous vivions en horreur la simple idée d'organiser des funérailles (ce serait la reconnaitre comme notre enfant, et ce n'est pas vrai, ce n'est pas possible, ce n'est pas notre enfant qui va mourir, ce n'est pas pareil...)
Et puis nous sommes tombés sur le site de Petite Emilie, par hasard, hasard qui nous a protégé de bien des regrets: la douleur de tous ces parents qui ont temoigné sur ce site n'a pas été absurde, elle nous a tant apporté! C'est sans doute là que nous avons trouvé le plus de réconfort, nous comprenions enfin ce qui nous arrivait, pourquoi ca faisait si mal...
Le temps des différents examens à faire a fait son chemin, nous avons profité jusqu'au bout de ses petits coups de pieds, nous l'avons dorlotée (elle n'était plus un problème à résoudre mais notre bébé à protéger) et le 1er septembre 2005, Camille est venue, nous étions la pour l'accueillir et l'aimer pleinement, c'était NOTRE 3eme enfant et ce fut un appaisement, un moment d'une infinie tendresse, nous avons pu lui donner, lui dire, tout notre amour. Cet amour, il était là de toute façon, quoiqu'on fasse, mais on l'aurait sans doute refoulé si nous n'avions lu les temoignages de tous ces parents, et aujourd'hui, presque 2 semaines après, j'imagine avec effroi le précipice du "trop tard" que nous aurions à assumer: accompagner Camille jusqu'au bout c'était tout tout tout là haut... et nous, nous sommes tout tout tout au fond, et rien ne pourra jamais nous faire remonter pour rattrapper ce que nous n avons pas vécu avec elle, pour elle et pour nous... Bien sûr que ca n'efface pas le vide qu'elle laisse, mais ce vide a un sens, une réalité: nous avons perdu cette petite crevette que nous avons tant aimée pendant presque 6 mois à travers mon ventre, pendant deux heures dans nos bras.
Aujourd'hui il faut que la vie reprenne, nos grands ont besoin de nous (vivre les choses ainsi a permis aussi d'en parler plus facilement avec eux...): Camille ne sera pas un "fantôme" qui risque de ressurgir n'importe quand, dans plus ou moins longtemps et de faire à nouveau si mal... Camille est notre fille, elle nous a donné beaucoup de joie, elle reste vivante dans nos coeurs et c'est ainsi qu'elle nous permet de continuer à vivre pleinement... "On ne peut faire son deuil que du connu, pas d'un rien" (G. Delaisi de Pardeval)
Nous vous souhaitons plein de courage, nous pensons souvent à tous ces parents qui ont vécu ou vivent de tels évènements au cours de leur vie... C'est cela aussi que Camille nous a rappelé: ne pas attendre d'être "ces autres à qui ca arrive" (une IMG ou autre chose) pour penser à eux et les soutenir, même si ce n'est que très modestement à notre échelle... L'océan n'est il pas fait de gouttes d'eau?
PS du papa: Voir ma fille, la serrer dans mes bras, l'embrasser, lui parler,
la sentir, m'ont sans doute permis de vivre la même douleur que ma femme,
aussi intensément... Nous sommes 2 aujourd'hui, je ne suis pas seulement
auprès d'elle à la soutenir et la comprendre du mieux que je peux...
PS de la maman: Nous vous avons confié notre histoire, nos ressentis, mais chaque histoire est unique, personnelle, riche de tout un passé. D'autres parents ne vivront pas les choses ainsi, pourront regretter d'avoir vu leur enfant ou ne jamais regretter de ne pas l'avoir vu, avoir envie ou ne pas avoir envie de laisser une trace dans le livret de famille, de faire des obsèques... Peu importe... Ce qui importe c'est de ne pas aller trop vite, de dépasser le rejet plus ou moins inévitable quand un tel évènement nous tombe dessus, de se poser la question... Son choix est le bon, mais il faut prendre le temps de choisir...